Droit au séjour pour raison médicale

Le Conseil d’État réaffirme la protection contre l’éloignement et le droit au séjour des étrangers malades résidant en France n’ayant pas un accès effectif aux soins dans leur pays d’origine

Depuis 1998, la loi française prévoit la délivrance d’une carte de séjour temporaire d’un an à l’étranger « résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire [...] » (article L.313-11-11° du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ).

Droit au séjour pour soins : une procédure qui garantit le secret médical

La décision d’admission au séjour est prise par le préfet après avis du médecin de l’agence régionale de santé compétente (ARS) ou à Paris, du médecin chef de la préfecture de police. Cet avis est rendu sur la base d’un rapport médical sous pli confidentiel établi par un praticien hospitalier ou un médecin agréé qui a rencontré l’étranger et connaît son dossier médical. Cette procédure garantit le respect du secret médical, les informations médicales concernant le demandeur n’étant pas accessibles au personnel non-médical de l’administration.

Le 7 avril 2010, deux décisions du Conseil d’État [1] ont affirmé que la condition d’accès « effectif » aux soins recouvrait la vérification, non seulement de l’existence de l’offre médicale appropriée dans le pays d’origine mais également des possibilités effectives de l’intéressé d’en bénéficier en fonction de ses ressources, du bénéfice éventuel d’une prise en charge financière, ou encore de la région dont il est originaire.

Au moment de la demande du titre de séjour, les éléments permettant d’établir l’impossibilité d’accéder effectivement à un traitement et à un suivi appropriés dans le pays d’origine, par exemple la précarité de la situation financière du demandeur corrélée à l’absence de dispositif de prise en charge financière des soins par la collectivité devront être rassemblés dans le rapport médical remis sous pli confidentiel au médecin de l’ARS (voir ci-dessous une analyse juridique détaillée des arrêts).

Nous tenons à rappeler que ces arrêts ne doivent pas être interprétés comme une invitation pour les étrangers à lever le secret médical, puisque c’est bien aux médecins des ARS d’effectuer le travail d’expertise sur l’accès effectif à une prise en charge médicale appropriée dans le pays d’origine, sur la base du rapport médical sous pli confidentiel qui leur a été remis, et en amont de la transmission de leur avis au préfet.

Dans le cadre de la mise en place des ARS, nous serons vigilants à ce que, pour assurer cette mission, les médecins puissent recevoir la formation nécessaire, aient accès à une documentation complète, objective et actualisée, et travaillent dans des conditions adéquates. Nous nous félicitons de ces décisions, qui, pour nos associations, réaffirment l’esprit de la loi de 1998 : protéger les étrangers atteints de pathologies graves et ne pouvant se soigner dans leur pays d’origine contre toute mesure d’éloignement et leur donner accès à un droit au séjour, indispensable pour assurer la continuité des soins en France.

Le 16 juillet 2010
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Notre analyse juridique

Par deux arrêts du 7 avril 2010, le Conseil d’État vient de reconnaître pleinement la protection garantie par le législateur aux étrangers malades en matière de droit à la continuité des soins.

Le Conseil d’État a en effet jugé en formation solennelle que le droit au séjour et la protection contre l’éloignement doivent être garantis à tout étranger malade ne pouvant, pour quelle que raison que ce soit, avoir concrètement accès dans son pays d’origine ou de renvoi à une prise en charge médicale appropriée dont le défaut risquerait d’avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité sur son état de santé.

Par ce revirement de jurisprudence et suivant les solutions déjà consacrées par certains tribunaux et cours administratives d’appel, notamment à Paris, le Conseil d’État a tardivement mais pleinement reconnu la protection effective voulue par le législateur dès 1997 reposant sur l’idée forte, au cœur des principes de la déontologie médicale et des engagements intergouvernementaux de coopération régionale et internationale en matière de santé, de garantir effectivement la continuité des soins de tous et en particulier des étrangers résidant en France et atteints d’une affection grave.

Pour le Conseil d’État, comme le ministre de l’intérieur l’avait rappelé par voie de circulaire dès mai 1998 avant de refuser de se conformer à ses propres instructions, la vérification de la condition d’accès « effectif » aux soins dans le pays d’origine ou de renvoi implique de prendre en compte à la fois :

  • l’existence des traitements et des structures médicales appropriés sur le territoire du pays concerné ;
  • la disponibilité actuelle et future de cette offre de soins en nombre et en qualité suffisants tenant compte le cas échéant des ruptures d’approvisionnement et des aléas techniques ;
  • l’accessibilité concrète des soins tant dans ses dimensions économique, compte tenu de leur coût, des ressources de l’intéressé et du bénéfice éventuel d’une prise en charge financière par la collectivité, et géographique, qu’au regard de l’existence d’éventuelles discriminations ou de « toute autre circonstance exceptionnelle tirée des particularités de la situation de l’intéressé » [2].

Quelles sont les incidences immédiates de cette jurisprudence ?

> la caducité des fiches pays diffusées à partir de 2007 par l’administration française

Comme l’a rappelé le rapporteur public dans ces deux affaires, il est tout d’abord manifeste que les fiches pays élaborées dans des conditions fortement discutables et diffusées à partir de 2007 sans être actualisées par le Comité interministériel de contrôle de l’immigration (CICI) auprès des médecins inspecteurs de santé publique aujourd’hui remplacés par les médecins des agences régionales de santé (ARS), ne sont définitivement plus utilisables dès lors qu’elles informent au mieux de la seule existence des traitements dans les pays d’origine sans tenir sérieusement compte, ni de la disponibilité quantitative et continue de l’offre de soins, ni a fortiori des dimensions financière, géographique ou géopolitique pouvant avoir une incidence directe sur l’accessibilité effective aux soins.

> la prise en compte par les médecins des ARS de l’accès effectif aux soins

Mais surtout, cette jurisprudence va impliquer la prise en compte, dans l’avis rendu par le médecin de l’ARS, ou à Paris par le médecin chef des éléments du rapport médical remis sous pli confidentiel de nature à établir l’impossibilité pour l’étranger malade d’avoir effectivement accès à une prise en charge médicale appropriée dans son pays d’origine ou de renvoi.

En effet, et contrairement à ce que certains commentateurs ont pu laisser entendre, si c’est à l’étranger de faire valoir de tels éléments , c’est bien au médecin de l’ARS, ou à Paris au médecin chef, sur la base du rapport médical et dans le respect du secret médical, de donner au préfet son avis sur les possibilités effectives d’accès à une prise en charge médicale appropriée dans le pays d’origine ou de renvoi. L’article 4 de l’arrêté du 8 juillet 1999 relatif aux conditions d’établissement des avis médicaux lui confère expressément cette mission. Comme le rappelle les propres instructions ministérielles (circulaire du 5 mai 2000 récemment rappelée par circulaire du 25 février 2008), l’intervention du médecin de l’ARS, à Paris, du médecin chef, est en effet prévue par le législateur pour assurer le respect des droits de la personne malade, au premier rang desquels le secret médical, tout en s’assurant que le demandeur remplit les conditions fixées par la loi. Et la justice administrative censure avec constance les procédures administratives qui n’ont pas permis de garantir le secret médical ou dans lesquelles le médecin de l’ARS, ou à Paris le médecin chef, ne s’est pas prononcé clairement sur la question, posée par l’article L313-11-11° du CESEDA, de savoir si l’étranger peut « effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire [ou de renvoi] »

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[1] Décision n° 301640 et n° 316625.

[2] Concernant les étrangers séropositifs au VIH vivant en France, le ministère de la santé préconise depuis plusieurs années une interprétation des conditions du droit au séjour conforme à l’esprit de la loi. Cf. cir. du 30 septembre 2005 confirmée par circ. du 23 octobre 2007.