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Peut-on accepter de renvoyer des malades mourir dans leur pays d’origine ?

À partir d’aujourd’hui (mardi 28 septembre) sera discuté à l’Assemblée Nationale le projet de loi immigration, intégration et nationalité. Ce projet de loi durcit considérablement, une nouvelle fois, le traitement fait aux étrangers en France, y compris les étrangers malades.

Contre l’amendement (CL381) présenté par le député M. Thierry Mariani et voté le 15 septembre dernier en commission des lois, visant à supprimer le droit au séjour des étrangers gravement malades vivant en France, nos organisations ont adressé l’argumentaire joint aux parlementaires.

Cet amendement n’autoriserait la délivrance d’un titre de séjour aux malades étrangers que si le traitement est totalement inexistant dans le pays et sans savoir si la personne peut y avoir accès.
Permettre aux malades d’accéder à la prévention et aux soins permet de prévenir les transmissions secondaires, ce qui protège aussi le reste de la population. Leur refuser l’accès aux soins et le droit au séjour renforce la clandestinité, le non recours aux soins, le retard dans la prise en charge médicale.
Les impératifs financiers (traitement précoce moins coûteux qu’à des stades avancés) et la protection de la santé des populations en France conduisent logiquement à rejeter tout recul dans la protection des étrangers gravement malades.

Nos organisations demandent à tous les médecins, à tous les parlementaires de s’opposer à cet amendement.

Vous trouverez ci-joint l’argumentaire envoyé vendredi aux parlementaires.

CISS, FNARS, ODSE, UNIOPSS

Le projet de loi immigration, intégration et nationalité durcit considérablement, une nouvelle fois, le traitement fait aux étrangers en France, y compris les étrangers gravement malades. Les dispositions de ce projet vont d’abord largement les empêcher de déposer leurs demandes d’admission au séjour pour raison de santé et vont également les priver de la possibilité de disposer d’un délai suffisant pour saisir le juge qui annule pourtant aujourd’hui près d’une mesure d’éloignement sur deux prises à leur encontre.

Mais surtout un amendement (CL381) présenté par le député M. Thierry Mariani, rapporteur de la loi, a été voté par la Commission des lois le 15 septembre 2010 : il propose de remettre directement en cause le droit au séjour des étrangers gravement malades vivant en France.

Nos organisations demandent à tous les médecins, à tous les parlementaires de s’opposer à cet amendement.

En 1997, la loi Debré a intégré dans la législation française la protection des étrangers gravement malades contre l’éloignement du territoire. L’année suivante, la loi Chevènement renforçait cette protection grâce à la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire. Ce droit au séjour est conditionné au fait que l’étranger, gravement malade, vivant en France « ne puisse effectivement bénéficier du traitement approprié dans son pays d’origine ». L’esprit de la loi, rappelé le 7 avril 2010 par le Conseil d’État, est donc de faire en sorte qu’un étranger gravement malade et sans accès effectif aux soins dans son pays d’origine soit protégé de l’expulsion et puisse avoir accès aux soins en France dans des conditions de vie stable pour éviter la mort prématurée ou la survenue de graves complications ou de handicaps dans un pays où il ne pourrait pas être soigné. Une lecture de la loi conforme à son texte et à son esprit ne saurait être qualifiée d’interprétation « très généreuse » comme l’a exposé Thierry Mariani. Rappelons ici que, selon les dernières données disponibles de fin 2008, le nombre d’étrangers malades régularisés s’est stabilisé autour de 28 000 personnes, ce qui représente 0,8% des 3 500 000 étrangers en France.

L’amendement propose de transformer la condition de « non accès effectif au traitement approprié dans le pays d’origine de l’étranger » en seule « inexistence du traitement approprié ». Loin d’être une précision sémantique, l’existence d’un traitement ne garantit pas qu’il soit accessible ni même disponible : une telle modification de la loi reviendrait à supprimer le droit au séjour des étrangers gravement malades en France.

Le Conseil National du Sida dans un courrier adressé à Nicolas Sarkozy le 22 septembre, « alerte le gouvernement sur le caractère très préjudiciable de l’évolution législative envisagée, dont l’impact affecterait profondément le droit des personnes concernées mais également la santé publique et la maîtrise des dépenses de santé. » En effet,

  1. l’existence ou non d’un traitement dans un pays ne prouve en rien que la personne malade l’obtienne. Comme le dit le Conseil National du Sida « dans le cas de l’infection à VIH mais pour de nombreuses autres pathologies également, le problème n’est plus aujourd’hui celui de l’existence des traitements appropriés dans le pays d’origine mais uniquement celui de leur accessibilité ». En effet, les traitements ne sont accessibles dans la plupart des pays que pour l’élite, les dirigeants, les expatriés, souvent dans des cliniques privées… De plus, leur insuffisance quantitative, leur coût en absence de prise en charge financière, l’état des structures sanitaires du pays, les ruptures de stocks, le manque de personnel de santé… sont autant de facteurs qui font, qu’en cas d’expulsion, le malade étranger ne pourra pas continuer à se soigner.

  2. l’interruption du traitement (par exemple dans les cas de VIH mais pas seulement) « conduit à terme à une issue fatale » (véritable peine de mort décidée pour des raisons administratives) et entraîne aussi dans certains cas « le risque de développement de souches virales résistantes qu’il y a tout lieu d’éviter tant dans l’intérêt de la personne elle-même que d’un point de vue de santé publique dans le pays concerné ».

Refuser le droit au séjour à des étrangers gravement malades qui vivent en France au motif que le traitement requis par leur état de santé « existe » dans leur pays d’origine (sans vérifier l’accès effectif) pourrait conduire à deux types de situations :

  1. Certaines personnes repartiront ou seront renvoyées dans leur pays d’origine malgré le risque d’une mort à plus ou moins brève échéance : la responsabilité de la France serait alors engagée, à la fois directement (peines ou traitements inhumains ou dégradants [1]) et plus globalement en matière de désengagement dans la lutte contre les pandémies, notamment l’infection à VIH, la tuberculose et les hépatites virales ;
    Monsieur V., ressortissant arménien, séropositif à l’hépatite C, sous traitement, vit en France depuis trois ans et est pris en charge à l’hôpital ; Monsieur V. est interpellé sur la voie publique, il est placé en rétention administrative. Si l’amendement est voté, M. V sera renvoyé en Arménie. Il ne pourra jamais s’y soigner car il ne pourra jamais payer le traitement de l’hépatite et n’aura aucune continuité des soins ; son état de santé se dégradera extrêmement rapidement avec risque prévisible de cancer du foie.

  2. D’autres personnes resteront en France en situation de très grande précarité, dépendantes des aides caritatives, sans possibilité d’autonomie professionnelle, dans une situation d’insécurité administrative préjudiciable à un suivi médical de qualité. Le non recours aux soins et la prise en charge tardive auront pour conséquences des complications et surcoûts hospitaliers, en contradiction totale avec les programmes et objectifs de santé publique pour la prévention et le dépistage précoce en matière de VIH, des hépatites, des cancers, des diabètes…
    Madame N, ressortissante congolaise, diabétique insulinodépendante, risque de perdre la vue ; elle vit en France avec ses deux enfants mineurs scolarisés depuis 8 ans ; elle est titulaire de cartes de séjour temporaires depuis 5 ans et travaille en CDI. Si l’amendement est voté, le renouvellement de sa carte de séjour temporaire sera refusé au motif que l’insuline par voie sous-cutanée existe à Brazzaville : cependant il est reconnu que l’offre de soins et le suivi médical sont très insuffisants. Elle passera de l’assurance maladie à l’Aide Médicale d’État, elle perdra son emploi, n’aura plus les moyens de payer son loyer ni de subvenir aux besoins de sa famille.

Il est choquant que les motivations de l’amendement Mariani laissent entendre que le dispositif actuel tel qu’il résulte de la loi de 1998 « ouvre un droit au séjour potentiel à tout étranger ressortissant d’un pays ne bénéficiant pas d’un système d’assurance sociale comparable au nôtre ». Thierry Mariani est allé jusqu’à affirmer lors des débats en commission des lois pour soutenir son amendement que la France « ne peut hélas non plus soigner toutes les maladies du monde, sauf à faire littéralement exploser les déficits de la Sécurité sociale ! »

Il n’est pourtant nullement question de faire venir en France les malades des pays étrangers, mais bien de continuer à soigner les ressortissants étrangers vivant dans notre pays : la loi actuelle ne protège que les étrangers installés en France. La migration pour raison médicale reste une exception, plus de 90% des personnes concernées ayant découvert leur maladie à l’occasion d’un examen médical pratiqué en France alors qu’ils y résidaient déjà (InVS, Inserm, enquête Vespa, Rapports Comede, Observatoire européen de l’accès aux soins de Médecins du Monde).

Permettre aux malades d’accéder à la prévention et aux soins permet de prévenir les transmissions secondaires, ce qui protège aussi le reste de la population. Leur refuser l’accès aux soins et le droit au séjour renforce la clandestinité, le non recours aux soins, le retard dans la prise en charge médicale.

Les impératifs financiers (traitement précoce moins coûteux qu’à des stades avancés) et la protection de la santé des populations en France conduisent logiquement à rejeter tout recul dans la protection des étrangers gravement malades.

24 septembre 2010

Organisations signataires :

  • Le CISS (Collectif interassociatif sur la santé)
  • FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale)
  • ODSE (Observatoire di droit à la santé des étrangers)
  • UNIOPSS (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux)

[1] Article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme

 

 

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